mercredi 29 décembre 2010

Une expo à la dimension de l’artiste Mr Issiakhem au MaMa





Le regard pénétrant de l’aigle, le visage osseux aux couleurs grises d’une tempête qui s’annonce, les dents serrées comme pour contenir une colère exacerbée, Issiakhem, disparu il y a déjà 25 ans, accueille ses visiteurs au MaMa d’Alger par cet autoportrait n° 2 de 1976.

C’est une affiche et elle annonce le programme de façon subliminale comme pour dire : «Visiteurs, si vous cherchez la beauté des choses, passez votre chemin. Ici, je vous renvoie ce que j’ai vu de la souffrance, que de la souffrance». L’avertissement se ressent furtivement. Le long de la galerie, c’est un silence religieux entrecoupé de murmures et chuchotements de visiteurs dont on peut decripter l’émotion dans le regard. Le peintre submerge par sa secrète présence et sa singulière personnalité. Il donne une atmosphère inhabituelle au Musée national d’art moderne et contemporain d’Alger (MaMa) avec l’exposition d’un important catalogue pour la commémoration du 25e anniversaire de sa disparition le 1er décembre 1985 à l’âge de 57 ans. Mort dans le dénuement, l’artiste a laissé à la postérité un héritage dont on ne pouvait soupçonner la dimension.

L’œuvre commence par un autoportrait datant de 1948. C’est le N° 1. Il finit sa tumultueuse carrière par un Adieu qu’il réalise en un troisième autoportrait daté de 1985, année de sa mort, dédié à Zoulikha, la sœur de son ami Abdelhamid Benzine et, par dérision, à la chimiothérapie qui le dénude et l’amaigrit. Le cou est démesurément allongé comme pour mettre en évidence la vulnérabilité de ce corps malade qui lutte pour la survie. Les traits géométriques sont esquissés en lignes droites, les lèvres serrées, la pâleur inonde d’un ocre jaune, le dos est vouté. Issiakhem est alors au crépuscule de sa vie. Mais le brasier interne qui le dévore, depuis l’explosion de la grenade laissée par l’armée américaine à l’origine du traumatisme infantile, n’est pas éteint pour autant. Il a encore la force de travailler. Son regard sombre exprime la lucidité face à la mort cette «Suprême Infirmière» qui signera sa fin.
A 57 ans, Issiakhem était psychiquement dans la plénitude de son art.


Femme modèle !


Les trois étages du musée sont surchargés de ses émotions. Cette expo a réussi l’exploit de regrouper des œuvres éparpillées chez des collectionneurs avisés et des musées nationaux et lever le voile de l’oubli sur cet homme, encore inconnu, qui a marqué son temps par une rupture avec une époque où les arts plastiques étaient peu impliqués dans les sujets de société. Il a tourné le dos aux couchers de soleil et aux natures mortes. Combien même il a fréquenté Racim et a été tenté par la miniature. Il a fait un autre choix ; celui de poser un regard vif sur la souffrance humaine induite par la sauvagerie de la guerre et ses effets dévastateurs lisibles sur les corps des rescapés, qui traînent leur solitude en marge des cités. Ses modèles, « Femmes chaouias » « Femme» «Mariée » sa «Berberie inachevée» de 1968 ou «Vieille femme kabyle» flamboyantes de couleurs chaudes ou quasiment monochrome, traduisent une relation complexe à la femme sujet de souffrance.

A lire cette exposition du MaMa, le visiteur finit par se persuader qu’Issiakhem a exprimé ce que nul auteur ne pouvait rendre par des mots. Et pour cause ! C’est un enfant de la guerre traversé par la guerre sur un parcours de vie d’une quarantaine d’années. Il a connu très peu la paix. Secret mais incisif, Issiakhem a peu parlé de lui-même et il se confiait peu aux journalistes à l’exception de Azegagh de Révolution Africaine qui l’accompagnera jusqu’aux derniers moments ou Mohamed-Saïd Ziad du quotidien El Moudjahid. L’évènement médiatique fut sans doute la première interview accordée à Halim Mokdad pour El Moudjahid Culturel. Très lié à Kateb Yacine qui le laissait taguer ses toiles par des mots abstraits en parfaite harmonie avec le sujet, Issiakhem n’aurait jamais vendu une seule de ses toiles.
C’était contre ses principes. L’exposition qui dure jusqu’au 31 janvier 2011 est un évènement unique. Saura-t-on réaliser la même performance dans le futur ?



Rachid Lourdjane

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