lundi 9 juillet 2012

Théâtre algérien au féminin, un voyage dans l’exclusion


Le premier évènement théâtral algérien, conjugué exclusivement au féminin, fait jonction avec le cinquantenaire de l’indépendance nationale, festival organisé en janvier dernier à Annaba et dédié à celle qui reste la référence originelle de la pratique féminine dans notre pays et à l’échelle maghrébine, Kaltoum, Aïcha Adjouri-Fettouh pour l’état civil.
Cette comédienne, disparue en novembre 2010, a cumulé la double particularité et exemplarité d’être une première de cordée dans une profession socialement sulfureuse pour les femmes et un cas exceptionnel de longévité artistique avec plus de 60 ans de fréquentation quasi ininterrompue de la scène sur différents registres (chant, danse, théâtre, cinémaà), s’offrant même le "luxe" de rater d’une voix le grand prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour son rôle dans "le Vent des Aurès".
Quelque 80 années après cette expérience pionnière et un demi-siècle suivant la libération du pays, quel bilan peut-on dresser des relations entre le théâtre et les femmes version algérienne ?
Ecoutons Sakina Mekkiou dite Sonia qui, apparue sur la scène il y a une quarantaine d’années, essuyait presque aussi fortement que ses aînées les tirs de l’adversité sociétale. "La génération actuelle, dit-elle, a beaucoup de chance puisque les mentalités ont évolué, la société ne voit plus, ou presque, l’artiste de la même manière. Moi, j’ai exercé mon métier à une époque où il était déjà dégradant pour un homme de le faire. Durant de longues années, presque toute ma famille m’a reniée. Mon père, qui avait juré de me tuer, s’est réconcilié avec moi seulement trois mois avant son décès".
Se mettre aussi fortement en danger avait pour aiguillon une soif irrépressible de liberté que, aux yeux de Sonia, l’école du théâtre était à même de lui offrir, "liberté de créer, de vivre et d’être responsable de sa propre destinée du fait que chez nous, la femme est en éternelle liberté surveillée", souligne l’inoubliable interprète de "Fatma".
D’évidence, la femme artiste n’est plus sujette au regard réprobateur collectif d’antan suivant ce cours naturel qui voit la femme d’aujourd’hui alphabétisée et armée culturellement grâce à son accès au savoir et au monde des médias, de plus en plus intégrée économiquement et davantage consciente de sa condition qui la conduit à réclamer sa vraie place dans son environnement, pointant les archaïsmes et préjugés de tous acabits dont elle n’entend plus être une cible passive.
Kateb Yacine a remis en selle trois personnages féminins marginalisés
Le combat au féminin par le prisme du théâtre se déploie généralement sur un double terrain, en tant qu’outil socioculturel de sensibilisation ou arme de revendication politique (démarche féministe), et il a naturellement besoin autant de techniciennes et artistes femmes que d’auteures dramatiques.
Mais la présence de ces dernières n’est pas exclusive de celle de dramaturges hommes dont certains méritent de figurer au panthéon de la littérature dramatique féminine et féministe, à l’image de Kateb Yacine, Mohamed Dib et Rachid Boudjedra.
Kateb Yacine a remis en selle trois personnages féminins marginalisés par l’histoire officielle : "la Kahina ou Dihya", "Saout Ennissaa" (mère de Yaghmoracen, fondateur du royaume zianide) et "Louise Michel" (militante française pour les droits des Canaques et compagne de bagne d’El Mokrani en Nouvelle Calédonie), qui sont les héroïnes de trois £uvres participant de la fresque "La Guerre de 2000 ans" et regroupées dans un recueil publié en 2004 en France.
Autre figure féminine d’une haute densité dramatique et symbolique, celle d’Arfia dans la pièce de Mohamed Dib "Mille hourras pour une gueuse", montée en 2011 par le Théâtre régional de Mascara.
Fonctionnant à la fois comme conscience populaire et mauvaise conscience de ceux qui brûlent à petits et grands feux les rêves collectifs, ce personnage fortement inspirant a secrété et configuré son clone, Khedidja, dans "Les Martyrs reviennent cette semaine".
Enfin, "Journal d’une femme insomniaque" de Rachid Boudjedra, adapté à la scène à trois reprises, au cours des deux dernières décennies, constitue à la fois une plongée en eaux profondes dans l’intimité féminine et une charge sociale percutante contre l’univers machiste. "C’est le rôle le plus fort qu’il m’ait été donné de composer en dix années de théâtre", expliquait à l’APS, en 1992, la comédienne (Marie Plateau) en charge du personnage dans une version présentée à Paris.
Les trois exemples développés éclairent une relation privilégiée du masculin au féminin, avec des écrivains de conscience politique pointue dont le talent s’avère encore plus imposant lorsqu’il prend sous son aile une gent vulnérable, dominée, ostracisée comme l’est la femme dans notre société.
La pratique d’éviction ou d’exclusion de la femme a été une constante sans faille depuis les premiers pas du 4e art en Grèce (les personnages féminins comme Antigone ou Andromaque étaient joués par des comédiens masculins), se transformant en tendance lourde dans le théâtre shakespearien et perdurant jusqu’à la période contemporaine sous l’influence omnipotente de l’Eglise.
Kaltoum, la première comédienne algérienne
Quant à trouver la trace palpable d’un metteur en scène féminin dans l’histoire, on tombera avec un peu de chance sur le nom de la fondatrice et directrice du "Théâtre du Soleil", Ariane Mnouchkine, une femme de culture à la hauteur de sa noblesse de c£ur qui lui a fait accueillir à la Cartoucherie de Vincennes (Paris), pendant la décennie noire, nombre de comédiens algériens en exil forcé.
Ceci amène à dire que le problème de la quasi exclusion de la femme constitue historiquement un fait majeur et une hypothèque dans le back ground du théâtre universel, et qu’un sérieux toilettage dans les idées reçues n’est pas un luxe sauf quand celles-ci sont bâties sur le roc de faits établis qui garantissent à chacun son mérite et sa place dans l’histoire.
Ainsi, peut-on créditer Kaltoum de première comédienne algérienne (en tenant compte de l’ancienneté, la durée et la régularité de son parcours) et aussi de première femme dramaturge puisque Mohamed Touri a tenu à la faire cosigner le texte "El barah wal youm" (devenu par la suite "Zait, Mait wa Neggaz el hait").
Comme metteures en scène, il faut associer trois jeunes femmes qui ont ouvert la route : Hamida Chellali sur le terrain amateur et du théâtre pour enfants (avec "le Poisson vert", en 1981), et les deux s£urs Aït El Hadj, Hamida et Fouzia, qui, à un mois d’intervalle en 1987, ont "étrenné" leur formation académique et professionnelle avec respectivement "le Chant de la forêt" (Lessa Oukrainka) et "la Mort d’un commis voyageur" (Arthur Miller).
Ajouter à celles-là Liliane El Hachemi, aujourd’hui disparue, qui a été la première scénographe à faire profiter le théâtre algérien (et pas seulement) de son talent et de son savoir-faire. La pièce "Fatma", de M’hamed Benguettaf, a le mérite d’avoir ouvert en 1990 l’ère du théâtre algérien en solo et au féminin (monodrame, monologue, one woman show), genre qui fera florès par la suite.
APS

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire