lundi 4 juillet 2011

Evocation par le souvenir de la pensée

Il y a 100 ans Si Abderazak Fekhardji



Les années se succèdent les unes aux autres à une vitesse vertigineuse, mais phénoménalement par les temps présents la cadence est aussi furtive que le rythme de l’éclair dans un existentiel universellement agité.

Ainsi, les siècles se renouvellent, hélas, dans l’érosion de la mémoire collective générée par l’effet d’un temps propice à l’amnésie et à l’oubli.
A l’évocation des repères de celle-ci, a surgi un souvenir marquant d’un homme exceptionnel, Si Abderazak Fekhardji. Ce réfèrent majeur du patrimoine musical andalou est né un mardi 6 Juin 1911 à la mythique Casbah d’Alger, matrice originelle de culture et d’histoire, berceau natal d’artistes de légende que furent les frères Racim, les frères Fekhardji, Ali Khodja, Mohamed Boudia et tant d’autres aussi célèbres que nombreux pour être tous cités ici. Le parcours exceptionnellement riche et fécond de Si Abderazak Fekhardji, ce temple de la musique classique algérienne, relève d’une véritable anthologie culturelle de par sa dimension et de l’impact générationnel qui fût le sien à travers l’apport de sa virtuosité géniale, qui demeure toujours une référence de grande notoriété au courant musical de l’école de la Sanâa d’Alger.

Les monuments de légende de la musique andalouse

Disciple des monuments de légende qui ont pour noms Abderrahmane Mnemeche, Mohamed Sfindja et Mohamed Bentefahi, le jeune  Abderazak Fekhardji, en élève studieux et surdoué, a hérité, du savoir de ces maîtres immenses, les vertus de la perfection, seule garante de la pérennisation du patrimoine musical andalou à travers le relais des générations montantes. C’est ainsi qu’il se consacrera sa vie durant à l’enseignement de cette musique, où en pédagogue émérite, il a œuvré à la formation de fournées successives de jeunes qui ont connu une ascension fulgurante, pour devenir des sommités à l’image du célèbre Professeur Sid Ahmed Serri qui ne cesse de remémorer en toute opportunité sa phrase devenue proverbiale  «Je suis un pur produit issu de la grande école du célèbre maître  Abderezak Fekhardji, qui fût mon professeur et à qui je dois tout ». L’avènement de sa notoriété remonte à l’année 1936, date de la création de l’Association andalouse El Djezaïria  au Nadi Ettaraki (Cercle des Progrès) dans la Basse Casbah où promu à la fonction de professeur, il entama son premier cycle d’enseignement et de formation musicale d’où émergeront de nombreuses promotions de grands talents.

Un pédagogue de la musique classique algérienne

Ses compétences musicales académiques et ses prodigieuses capacités le mèneront au Conservatoire d’Alger, où dans les années 1950 et pendant plus de 30 ans il assurera en professeur-pédagogue un enseignement magistral de très haut niveau, dans la rigueur esthétique de la traditionnelle école d’Alger.

El Djezaïria El Mossilia

Parallèlement à cette fonction professorale, il était également vice-président de la prestigieuse et historique Association El Djezaïria El Mossilia de 1930 à 1984 année de son décès,  et aussi en chef d’orchestre de rang universel il s’investira entièrement à la formation de nombreuses promotions de jeunes qui, aujourd’hui, constituent l’élite de la musique classique de l’Ecole d’Alger.

L’euphorie de l’indépendance

C’est dans l’euphorie des premières années de l’indépendance, au Cercle de cette grande formation très réputée, située à la rue ex-Mogador, que nous avions pu connaître la figure familière que nous croisions fréquemment à l’entrée du Conservatoire d’Alger, près de la Place des Martyrs, entouré tantôt de jeunes élèves tantôt d’amis qui avaient pour lui une grande affection. Ce lieu, hélas, détruit par une explosion accidentelle de gaz, rassemblait, dans la tradition des veillées du mois de Ramadhan, les mélomanes et amateurs pétris de musique classique et le gratin intellectuel et culturel de la capitale.
Au souvenir de ces inoubliables soirées, nous revient en mémoire de belles et impérissables images du grand maestro Si Abderazak Fekhardji qui dirigeait un orchestre de prestige composé de musiciens célèbres par leur talent et leur parcours à l’image de Abdelkrim M’Hamsadji, son fils Anis, Abderrahmane Zemerli, Omar Bensemene et tant d’autres virtuoses.

Un maestro de grand renom

Il en était la célébrité avec sa superbe ingéniosité instrumentale du violon «alto» transformé entre ses mains savantes en «archet d’or» qui avec ses «istikhbars» faisait vibrer la profondeur des sensations de l’âme. C’est sous sa direction que nous avions connu l’extase, ainsi transposés par des voix d’interprètes de génie dans l’univers des merveilleuses noubas de Zyriab.
Son illustre élève  Sid Ahmed Serri, ainsi que des astres de ce lumineux patrimoine Mohamed Kheznadi et le regretté Abdelkrim Dali formaient une constellation d’étoiles qui pendant des années brillaient lors des soirées de liesses ramadanesques organisées par l’Association El Djezaïria El Mossilia sous la houlette de son président, le défunt Sid-Ali Benmerabet figure emblématique des lieux et maître de l’ancestral r’bab.

Une personnalité accomplie et affirmée

Tel qu’il a de tout temps été, Si Abderazak Fekhardji imposait par son allant et sa prestance rehaussés par sa mise vestimentaire certes simple, mais au goût recherché à travers sa coutumière veste classique croisée, chemise blanche immaculée et cravate assortie. Ensuite par une naturelle affabilité, une gentillesse, une écoute et une considération pour l’autre d’où émanait la grandeur de sa personnalité affirmée par un sourire chaleureux et constant devenu  ainsi coutumier.

Une noble mission bien accomplie

Inlassable par l’amour viscéral qu’il vouait à la musique andalouse et passionnément attaché au patrimoine culturel citadin, il œuvrait avec une rare abnégation dont l’exemple forçait l’admiration. Tous ses efforts convergeaient en une seule direction, celle de la jeunesse et des générations montantes et vers un ultime objectif déterminant et sacré à ses yeux : celui de la pérennisation et du rayonnement d’un pan culturel incarné par l’art de la musique classique algérienne. C’est ainsi qu’au terme d’un long parcours lumineux, il devint le premier président de la renommée Association  El Fekhardjia créée le 19 avril 1984, pour perpétuer par la symbolique de la dénomination l’empreinte de son œuvre à travers un acte de reconnaissance et de gratitude à son endroit. Dans la discrétion qui a toujours été la sienne Si Abderazak Fekhardji s’éteignait en douceur à l’âge de 73 ans, achevant ainsi une noble mission bien accomplie pour la postérité du souvenir qui sera perpétué par les générations formées en sa grande école et ses admirateurs et amis tout aussi nombreux.

La perpétuation du souvenir par la pensée

C’est par l’évocation d’un acte de mémoire et sous une pluie battante, que sa tombe, au cimetière d’El Kettar, était ce jour de lundi 6 juin 2011 entourée de quelques fidèles, amis et élèves venus se recueillir en la circonstance de l’anniversaire du centenaire de sa naissance un mardi 6 juin 1911.  Parmi l’assistance, on a pu reconnaître des personnalités de renom, très connues dans le milieu du patrimoine musical andalou notamment : Le professeur Sid Ahmed Serri, le musicologue Nordine Saoudi, les présidents des associations El Fekhardjia, Nefil Abdelwahab, et  de Fen El Acil de Koléa, Benladjreb Brahim, le représentant de l’association les Rossignols de Chéraga, un mélomane chercheur en transcription musicale, Touabia  Youcef et l’auteur, sollicité et accompagné par un jeune chercheur en psychologie, Malik, établi à Paris et, qui de passage à Alger dans le cadre d’un séminaire scientifique, a tenu à participer à un événement qui selon son expression «est un devoir de mémoire envers les bâtisseurs de la culture algérienne et aussi un ressourcement  vital et réconfortant avant un retour à l’étranger ».

- Lounis Aït Aoudia.
Président de l’association
Les Amis de la Rampe
Louni AREZKI .

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire