dimanche 11 septembre 2011


Cinéma. Festival de Toronto (Canada)

Jours de tempête

 
 Scène du film : Le cheval de Turin de Bela Tarr.

Frénésie cinéphile au 36e Festival de Toronto qui réunit de grandes stars et beaucoup de films, du 8 au 18 septembre.


Les salles de Bell Lightbox sur King street sont pleines à craquer à toutes les séances. Bell Lightbox est un lieu fascinant. A la fois gratte-ciel futuristes, cinémathèque multisalles, galerie d’arts, librairies, boutiques de luxe et restaurants huppés... Des films forts sont montrés à la presse à Bell Lightbox et repris ensuite dans neuf salles de Toronto. Un film étonnant du cinéaste tunisien Ridha Behi, sur Marlon Brando intitulé Always Brando. Un vieux projet qui voit son heureux aboutissement. C’est un récit sur le magnétisme incroyable qu’a exercé le grand acteur américain sur Behi depuis toujours. A son école de Kairouan déjà, il séchait la classe pour aller voir ses films.
Bien plus tard, devenu cinéaste reconnu au Maghreb, il rencontre un jeune acteur dont la ressemblance avec Brando est assez frappante. Behi imagine aussitôt une rencontre entre ce jeune, nommé Anis Raâche, et Marlon Brando pour en faire un film. Il écrit un script, s’envole pour Los Angeles et montre son texte à Brando qui le reçoit dans sa maison de Mulholland Drive. Hélas, la star meurt quelques mois après. Ridha Behi refait son scénario, cherche un producteur et tourne une histoire où il est question d’un cinéaste américain qui débarque en Tunisie, tombe sur le jeune Anis Raâche et veut qu’il joue dans son film le rôle de... Marlon Brando ! On ne quitte pas l’écran des yeux tant cette histoire étonnante est si bien racontée !
Sami Bouajila magisral
Présent sous les couleurs algériennes et coproduit par l’ENTV et Laith Media, Le premier homme de Gianni Amelio est aussi un film de haute qualité sur les mémoires intimes d’Albert Camus, un récit passionnant sur sa jeunesse en Algérie. Le premier homme, dont la mise en scène et les interprètes sont d’une séduction indéniable, commence avec le retour de Camus, en 1957, à Alger pour rendre visite à sa mère malade. La guerre de libération est dans sa quatrième année. Les pieds-noirs sont dans le plus grand désarroi. Puis le film fait un retour sur l’enfance très pauvre de Camus dans le quartier de Belcourt.
A noter aussi une production de Rachid Bouchareb : Omar m’a tuer,  une réalisation de Roshdy Zem qui montre surtout la remarquable performance de Sami Bouajila dans le rôle du jardinier marocain, Omar Raddad, accusé de meurtre, gracié par le président Chirac et qui continue à vouloir prouver définitivement son innocence dans une affaire qui a fait grand bruit en France, il y a quelques années.  Monsieur Lazhar, du Canadien Philipe Falardeau, offre un grand rôle à Fellag qui s’en tire avec brio. C’est un instituteur brillant, remarquablement doué pour la pédagogie, venu d’Algérie. A Montréal, on lui fait entièrement confiance dans une affaire hautement délicate et sensible. Il doit reprendre la classe des jeunes élèves canadiens traumatisés par le suicide de leur maître précédent.  
Fellag, qui dévoile une autre facette de son immense talent, réussit admirablement et le film Monsieur Lazhar est sur toutes les lèvres des cinéphiles à Montréal, autant qu’à Toronto. Bell Lightbox est aussi le lieu de toutes les aventures et de toutes les rencontres. On attend tous la venue de Sir Salman Rushdie, récemment anobli par la reine d’Angleterre, qui doit animer une conférence en compagnie de la cinéaste indienne Deepa Mehta sur Midnight’s Children, son premier roman quand l’Inde est devenu un pays souverain en 1947. Deepa Mehta vient d’achever le tournage de l’adaptation du roman. On verra des extraits, déjà en boîte, du film tourné au Sri Lanka.
Dans les salles obscures de Toronto, le public se rue dès le lever du jour pour prendre place dans les «rush lines» (achat des tickets en dernière minute). Le programme de plus de 300 films réunit beaucoup de premières mondiales comme le remarquable documentaire From the sky down sur le groupe rock U2 (prononcez : you tou) du grand chanteur Bono. D’autres films ont déjà été vus à Cannes, Berlin ou Venise, notamment ceux réalisés par Aki Kaurismaki, Wim Wenders, Nanni Moretti.
Une gracieuse et envoûtante perle cinématographique dans ce programme : Le cheval de Turin du cinéaste hongrois Bela Tarr, très probablement le plus beau film projeté cette année à Toronto.
Un nouveau souffle
Le cinéma hongrois a perdu beaucoup de sa qualité ces dernières années. Curieusement, depuis que la Hongrie est devenue un pays libéral et capitaliste... Mais le cinéma hongrois possède encore un grand nom. C’est celui de Bela Tarr qui continue à filmer en noir et blanc ce qu il aime, et ce que nous aimons dans le cinéma... Dans Le Cheval de Turin, il filme une tempête de vent et de sable qui dure six jours et qui souffle fort à travers la grande plaine hongroise. Dans une maison isolée, vit un vieux charretier, sa fille et son cheval. Il fait très froid, les feuilles tombent, le cheval refuse d’avancer et le vent qui rugit empêche la moindre tentative de sortie. Existence rude, précaire, pleine de menaces. A la maison, il n’ y a plus d’ eau, plus de lumière, plus de  nourriture. L’histoire s’arrête au sixième jour quand le vent se calme enfin. On ne sait pas ce qui se passera au septième jour.
La dernière image est bouleversante. On voit le père et sa fille assis, immobiles, dans l’attente, dans l’éternité… Le cheval de Turin dure presque trois heures. Il pourrait durer plus, tant le jeu des acteurs, la mise en scène de Bela Tarr sont envoûtants. On sent que dans ce chef-d’œuvre, Bela tarr touche à l’essence même de la vie et de la mort. Ce film relève du miracle, c’est la grande tradition du cinéma hongrois hélas disparue... C’est le contre-pied du cinéma que l’on  fait aujourd’hui à  Budapest et ailleurs,  et dans les usines de production. Programmé le premier jour du Festival de Toronto, presque à la  première séance  Le cheval de Turin a soufflé en tempête et bouleversé les heureux cinéphiles.          
 
Azzedine Mabrouki

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