dimanche 24 juillet 2011

Cherchell : Voyage au cœur de la mythologie


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Iole, Césarée et Cherchell sont des noms d’une même Cité de la rive sud de la Méditerranée à l’ouest de Tipasa. Tour à tour, elle fut un comptoir commercial prospère au temps des phéniciens, un majestueux trône du mythique couple royal Juba II et Cléopâtre de Céléné, une miraculée de la dévastation vandale, un fief de savoir et un carrefour d’érudits pendant l’âge d’Or de la civilisation arabo-musulmane au Maghreb ainsi qu’une terre d’accueil et d’adoption pour les centaines de familles, rescapées de l’inquisition espagnole après la chute de Grenade.
Le destin de Cherchell a de tous les temps croisé le sillon de l’histoire de l’humanité. Creuset incontesté de civilisations, à la fois rêve évanescent pour l’ennemi et source de fierté pour ses enfants, l’éternelle cité a su ciseler sa réputation dans un brassage de cultures pluriséculaires dont la quintessence a transcendé les clivages et les ambivalences burinant affreusement les différents sédiments de l’histoire. Cherchell d’aujourd’hui se décline toujours comme un livre d’histoire à ciel ouvert. Voguer à travers le dédale de ses quartiers, sa place des Martyrs, les salles de ses musées ou bien ses vestiges archéologiques donne parfaitement l’illusion magique d’ouvrir un écrin débordant de richesses patrimoniales.
Il suffit aux contemplateurs d’un brin d’imagination afin d’y reconstituer cette magnifique mosaïque reflétant la beauté, la grâce et le rang particulier d’une ville solidement enracinée dans le terreau fécond des civilisations antiques de la Méditerranée, profusément abreuvée par les valeurs islamiques et enfin résolument tournée vers un avenir meilleur dans le giron maternel d’une Algérie indépendante. L’odyssée de Cherchell, à travers les ères, se narre de génération en génération par ses enfants. Sa grandeur se lègue, siècle après siècle, comme un précieux héritage. Ce lien viscéral, entre l’ex-Césarée et sa population d’aujourd’hui, est célébré quotidiennement comme des noces, dont l’incarnation et la symbolique se lisent aisément à travers les traditions et us façonnant joliment le particularisme de la région. «La ville de Cherchell a connu à travers son histoire trois importantes étapes.
La première avait débuté au troisième siècle avant Jésus Christ, avec la venue des Phéniciens. A cette époque, elle fut le deuxième plus important comptoir commercial en Afrique du Nord après celui de Carthage. Les Phéniciens l’ont baptisé alors Iole, au nom d’un Dieu de la mythologie grecque (dieu des vents). Jusqu’à présent, il subsiste encore des vestiges puniques dans la ville, notamment des sites de nécropoles puniques, le phare et dans le port.
«On a même trouvé des objets dans les nécropoles qui sont actuellement exposés dans des musées», indique Bendaoud Djamila qui fait office de guide aux musées de Cherchell. Après l’ère punique prospère, c’était au tour des Romains de jeter les ponts de sa domination et de sa civilisation sur la rive méridionale de la Méditerranée. «En l’an 25 de notre ère, Cherchell comptait une population avoisinant les 100.000 habitants. C’était un véritable pôle urbain élevé au rang de capitale de la Mauritanie sous le règne de Juba II. Elle rayonnait sur tout le royaume. On l’a surnommée Césarée en hommage à César. Juba II a fait d’elle une importante cité. A titre d’exemple, pour subvenir aux besoins de la population en eau potable, le roi a construit un aqueduc long de plusieurs kilomètres. «Les thermes de l’ouest, l’amphithéâtre et le forum, dont les vestiges peuvent encore en témoigner, renseignent, si besoin est, du raffinement et l’esprit citadin de la société d’alors», note pour sa part Larbi Houari, un habitant de Cherchell, actuellement absorbé par la rédaction d’un livre retraçant
l’histoire de sa ville.
Parmi les anecdotes qu’il promet de mettre au goût du jour dans son ouvrage, il cite la rencontre de Saint Augustin, le réformateur de l’église catholique avec Césarée. C’était à l’occasion, confie-t-il, d’une farouche joute cultuelle opposant le plus célèbre des chrétiens berbères au chef de file des donatistes, précurseurs d’un mouvement chrétien qualifié d’hérétique.
De pareilles histoires croustillantes, il en existe, selon le même interlocuteur, des centaines à travers les successives époques ayant marqué le destin de sa ville. Cependant, l’une des pages les plus sombres de son histoire fut rédigée lors de l’invasion des Vandales qui, ne dérogeant pas à leurs sinistres habitudes, avaient jeté l’effroi parmi la population locale et semé la dévastation sur leur passage. A cet épisode, succéda l’avènement d’un autre conquérant, en l’occurrence les Byzantins. Cela dit, quand bien même ces derniers furent revigorés par les vagues réminiscences de l’aura de la période antérieure à la domination vandale, ce n’est qu’à la pose des premiers soubassements de la civilisation musulmane que Cherchell, dit-on, avait pu redorer son blason et atteindre l’apogée de son progrès et le summum de son rayonnement dans bien des arts et de savoirs.
LA CIVILISATION MUSULMANE OU L’ÂGE D’OR D’UNE CITÉ PROSPÈRE «J’imagine qu’à cette époque, notre ville rivalisait dans bien des domaines avec Tlemcen, Béjaïa et même Marrakech ou Fès. La venue de pas moins de 1.200 familles andalouses en 1424 après la chute de Grenade avait certainement contribué à rehausser son rang de pôle incontournable pour les érudits, les passionnés d’arts, d’architecture et de l’artisanat.
D’ailleurs, de nos jours, les souvenirs de cette heureuse épopée sont encore vivaces et se prolongent encore par le biais d’un patrimoine immatériel scrupuleusement pérennisé par l’observance de
traditions et de rituels de célébration de dates marquant notre histoire. Aussi, le style architectural arabo-musulman de l’ancienne mosquée aux cent colonnes et le quartier Aïn Qsiba notamment, en atteste, on ne peut plus, de sa grandeur», tient à souligner Larbi Houari. Aïn Qsiba justement, avec l’alignement de ses maisons, dont les pièces gravitent autour de patios, les venelles de ses quartiers rappellent étrangement et à bien des égards le bel aspect de la Casbah d’Alger.
«Selon la version la plus probable et comme son nom en arabe l’indique, Aïn Qsiba veut dire la fontaine du roseau. A cet endroit, existait une source d’eau entourée de roseaux», avance comme hypothèse Aâmi Maâmar, un membre actif, en dépit de son âge, au sein du mouvement associatif local. En revanche et en ce qui concerne l’origine de l’actuelle appellation de la ville, Larbi Houari en a recensé trois versions. «Cherchell tire son origine de Charchar qui veut dire torrent en arabe, en référence à une source abondante. La deuxième hypothèse mise plutôt sur Chanha Chane, littéralement ville de rang élevé.
Par déformation, il est devenu ensuite Cherchell. Par contre, la dernière version serait Charha Zal qui se traduit par son malheur, et qui est révolu. Quelle qu’elle soit l’origine de son actuel nom, Cherchell fascine encore par son passé et sa beauté, non seulement ses enfants mais aussi ses hôtes», tranche-t-il. Le voyage initiatique dans le passé pluriséculaire de Cherchell vaut bien le détour, car, comme l’affirme un vieux Cherchellois : «Il vous emmène agréablement à travers les sentiers éclairés creusés dans les sédiments des civilisations successives qui lui ont conféré ce rang particulier et lui ont légué un héritage inestimable».

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