mercredi 20 juillet 2011

«Poèmes haram et autres vocables d’amour», premier recueil d’Amine Aït Hadi

La parole condamnée d’un poète


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Fodhil Belloul
Une parole de poète, son existence et sa survie dans une société comme la nôtre, s’épanouit, dans le meilleur des cas, autour d’un cercle restreint d’amateurs. Quelques rares «dhewakine» ou «goûteurs» peuvent encore se réunir autours d’un poème d’El Maghrawi ou de Sidi Lakhdar Ben Lakhlouf, évoquer El Halladj ou Mohammed Dib. Une «poésie en acte», s’il convient d’utiliser cet euphémisme (poésie a pour racine «poesis» qui veut dire action), c’est-à-dire une poésie qui a sa place dans la cité, est devenue chez nous un phénomène des plus rares. Un langage particulier, particulièrement absent ou discret. A fortiori lorsque ce dernier est en français. Songeons à l’itinéraire souterrain d’un Djamel Amrani, ou à l’exil, poussé à la conversion romanesque d’un El Mahdi Acherchour. On l’aura compris, être poète en Algérie, y publier un livre de poésie, relève indiscutablement de la marginalité. Amine Aït Hadi fait son entrée en littérature par ce biais étroit de la poésie. A vingt-neuf ans, il publie son premier recueil en Algérie, après un premier à compte d’auteur en France. «Poèmes haram et autres vocables d’amour», ainsi titré, est-ce que l’on pourrait appeler l’histoire d’un cheminement. L’aboutissement d’une réflexion des plus profondes sur la place, l’avenir et la subsistance de l’art poétique. On pourrait facilement céder au semblant de provocation du titre, voir chez l’auteur une volonté d’interpellation par ce rapprochement religieux. «Blasphémer est la tâche la plus réputée d’un poème», peut-on lire dès les premières pages. En mettant la poésie au rang de «péché»,  Amine Aït Hadi invite son lecteur à un jeu dangereux, au partage d’une «expérience limite» au sens de Georges Bataille, c’est-à-dire à une confrontation par la littérature aux angoisses et aux excès nés d’un désir de transgression. Mais pour qui veut bien prêter attention et faire le pari de l’auteur, se révèle autre chose. Il s’agit bien de la «réputation» d’un poème, donc d’une considération collective face à ce langage, et qui trouve sa consistance aussi bien dans le référent textuel le plus important, celui du Texte Sacré (la Sourate des poètes), que dans une culture «punk» qui s’exprime dans un nihilisme, une perte des repères, caractérisant une partie de la jeunesse algérienne, y compris dans son langage, avec tous les phénomènes malheureux que l’on connaît. Comment vivre en poète ? De quelle manière appréhender un réel où le désir individuel n’a rarement, sinon jamais, la possibilité de s’exprimer ? Amine Aït Hadi forge cette expérience dans l’acte parfois violent et désespéré de l’incantation, de la prestidigitation. «Ce recueil pour ne dire autre chose aurait très bien pu être l’œuvre d’une sorcière contemporaine - avec une langue bâtarde qui chante dans mon foie et mon plexus». Il y a parfois dans le poème d’Aït Hadi, l’expression souffrante d’un corps et d’un érotisme niés, ou exacerbés et magnifiés dans l’interdiction, par la société. Et les accents «artaudiens» que peut prendre le poète, témoignent de la volonté de survivre, puisque il ne peut en être autrement, mais par la transformation radicale de la réalité, et le rapprochement de la folie. «Mes enfants, gardiens de la folie, ne songez pas à la douleur d’aller - Là où le silence déchire la peau en craintes sourde - Où les non-dits lâches se déversent – Obscène - Sans savoir-vivre». Il s’agit donc de dépasser l’enfermement, né de la marginalité «Mon donjon est une géométrie invariable où je m’essaye à toutes les figures», d’affronter, avec les armes inconséquentes de la parole, un monde qui ne vous reconnaît pas, qui nous vous laisse pas de place. La parole amoureuse est quant à elle chez notre poète proche de l’élégie d’un Rainer Maria Rilke, elle tente de saisir par le souvenir d’une amante impossible à rejoindre où à faire exister le mouvement même du chant, de l’appel «Elégie pour une Rouhanya (un fantôme)», peut-ton lire en intertitre de ce recueil.Bien sûr, Amine Aït Hadi est avant tout un artiste, ou un artisan du verbe. Et l’envolée lyrique est chez lui toujours une affaire de maîtrise. Le délire, le cri, ou la complainte, si elles expriment une rage et une volonté de dépasser sa simple condition, elles le sont toujours par la création d’un rythme, par la recherche effrénée d’une transe propre à notre atavisme.Il est rare de voir un recueil de poésie aller si loin à la fois dans les réalités qu’il prend en charge, que dans la violence par laquelle il répond à une autre première, celle qui condamne une parole pourtant si primordiale dans notre culture.                                               
F. B.
«Poèmes haram et autres vocables d’amour» d’Amine Aït Hadi
Editions Hibr, Alger (134 pages) /350 DA
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